Un futur antérieur

Ce que l’on ressentait intuitivement, les grands historiens nous l’ont confirmé : il existe, depuis l’aube de l’humanité, une migration des formes, une continuité du geste artistique qui, au-delà des objets et des styles, au-delà même des techniques, ne cesse d’interroger notre rapport au monde. Pour mieux réaffirmer ce dialogue fécond qu’entretiennent les productions du passé avec le présent, la galerie Arteas Ancient Art et la Galerie 8+4 ont décidé de concevoir une présentation commune durant ce salon. Bien que séparé en deux espaces attenants, le stand offre l’occasion unique de comprendre comment des pièces datant de l’Antiquité répondent à l’actualité de la création.

De tout temps, les artistes n’ont cessé de puiser dans l’Antiquité une forme d’inspiration notamment à travers des formes épurées et intemporelles qui ont su les séduire.

Un fragment de marbre romain, un vase grec ou un objet rituel égyptien convoquent de la même façon un désir d’absolu que l’on retrouve dans les créations contemporaines de Claire Trotignon, de Clément Bagot, d’Emma Lutz ou de Lionel Sabatté. Il s’agit, au sein de ce double stand, non pas de confrontations, encore moins de citations, mais bien d’un dialogue qui au-delà d’esthétiques différentes convoque l’essence même de l’art, c’est-à-dire l’origine de toute chose. Chez Arteas Ancient Art, cette origine se retrouve dans l’extrême simplicité d’objets votifs accompagnant le défunt dans les contrées de l’au-delà. Il est tout aussi présent dans les expressions apaisées de visages en marbre qu’ils soient grecs ou romains (du ier au iiie siècle). Là s’énonce l’évidence d’une incarnation du vivant dans la pierre. On retrouve cette même concision du geste dans quelques rares témoignages d’objets issus du monde méditerranéen. L’ensemble de ces objets à la provenance indiscutable esquissent les contours d’un cabinet de curiosité où l’exceptionnel côtoie l’insolite et l’inattendu invite aux rêves les plus fous.

En regard de ces incarnations d’un temps où les dieux et les hommes festoyaient ensemble, les œuvres présentées par la Galerie 8+4 ouvrent sur d’irréductibles singularités brassant le temps des origines et celui encore incertain de notre futur. Claire Trotignon répond à cette adresse en réalisant des collages (à partir de gravures anciennes) ouvrant sur des paysages de ruines où l’architecture faussement antique convoque un avenir où le vide règne en maître. Lionel Sabatté de son côté réinvente dans un même mouvement l’idée de tapisserie et celle du geste inaugural des hommes du Néandertal lorsqu’ils gravaient sur les parois de pierre les esprits des formes du vivant. En réactualisant une technique utilisée aux origines de l’humanité, le moulage au noyau, Emma Lutz réalise des vases en verre entre œuvre primitive et design sensible. Quant à Clément Bagot, ses dessins à l’encre d’une extrême minutie proposent des cartes abstraites d’où surgissent, dans les plis des traits, l’incertitude de visages biomorphiques.

Comme tissé dans l’épaisseur de nos imaginaires, cette double présentation déploie en quelques objets des concordances et des disharmonies, des contrastes solidaires et surtout cette richesse de la diversité des productions humaines qui, de nos jours, s’énonce comme un programme salutaire pour nos âmes et nos esprits.